L'effondrement de la biodiversité

ou la parabole de la grenouille plongée dans l’eau bouillante

Par Gilles Mur

La grenouille plongée dans une eau qui se réchaufferait lentement finit ébouillantée.  mais va très certainement sauter hors de l’eau. Telle est l’allégorie de la grenouille. 

Mais voici que nous sommes, à notre tour, transformés en batraciens dans un océan se réchauffant lentement à l’échelle de nos vies mais, si rapidement à l’échelle de notre planète… Survalorisant toujours le présent au détriment du futur, nos actions se sont révélées peu ou pas à la hauteur pour contenir le réchauffement climatique. 

Et c’est bien la crise du COVID-19 qui nous plonge de façon inattendue et brutale dans l’eau bouillante et nous confronte, là où on ne l’attendait pas, à nos fragilités.

Bien entendu, le raccourci cherchant une cause commune à ces deux maux est tentant, mais sans doute un raccourci simpliste. Malgré tout, il est raisonnable d’évaluer les conséquences et les risques de nos activités humaines sachant qu’à ce jour, nous consommons l’équivalent de 1.8 planète selon le rapport publié par le Global Footprint Network. Sur les bases des travaux du GIEC, un consensus s’est formé sur les risques majeurs d’amplification de désastres environnementaux et humains liés à nos activités humaines. 

 

Aujourd’hui, nous payons déjà un prix énorme à la pollution : La commission Lancet a estimé l’impact de la pollution en 2015 à neuf millions de morts prématurées [1]!

Et, si les risques d’augmentation de pandémie étaient également la conséquence d’une surexploitation de nos ressources naturelles, déséquilibrant des écosystèmes et provoquant l’effondrement de la biodiversité ?

 

Les rapports de l’organisation WWF (World Wildlife Fund) sont alarmants : plus d’un million d’espèces animales ou végétales sont menacées

A l’heure actuelle, plus de 90% des grands animaux sont soit des humains, soit des animaux domestiqués [2] . La réduction des surfaces d’habitat des espèces sauvages, résultats de l’extension des terres agricoles, des zones urbaines et des sites industriels, a donc eu un impact significatif sur la biodiversité dans toutes ses composantes, des gênes aux communautés d’espèces constituant nos écosystèmes qui se voient largement réduites. Une étude publiée en 2018 [3] menée sur l’ile de Madagascar a mis en évidence l’impact des activités humaines sur la déforestation depuis 1950, alors que 90% des espèces sont dépendantes de la forêt.


Alors naïvement, on pourrait penser que par la même, les pathogènes s’en verraient diminués par la disparition de leurs hôtes. Mais de fait, l’inverse est vrai à savoir que la diversité des espèces constitue un tampon réduisant le risque de transmission inter-espèces. Ainsi, l’effondrement de la richesse des espèces et tout particulièrement dans les zones équatoriales a conduit à une migration plus importante des pathogènes vers les zones géographiques plus tempérées, où l’amélioration des conditions d’hygiène au 20ème siècle a amplifié le risque, avec une diminution de la réponse immunitaire face à une infection, génération après génération.
Et puis, la disparition d’espèces provoque aussi une réaction en chaîne dans nos écosystèmes avec notamment l’apparition d’espèces opportunistes, telles que les rongeurs, qui sont potentiellement les hôtes et vecteurs de pathogènes inter-espèces sur des zones géographiques plus larges. Au global, la diffusion plus étendue des pathogènes peut ainsi provoquer des co-infections et ainsi créer des mutations plus virulentes encore. Et faut-il de plus ajouter que notre connaissance de la diversité des pathogènes reste encore limitée à ce stade (de 10% à 50% des êtres vivants), pour comprendre que nous n’avons pas encore mesuré tous les risques [4] ?

 

 

Alors bien sûr, nous avons connu de nombreuses épidémies, dont certaines plus meurtrières comme la grande peste noire au XIVème siècle ou la grippe espagnole à la sortie de la première guerre mondiale. Mais, aujourd’hui, toutes les conditions sont parfaitement réunies pour des pandémies plus fréquentes et surtout avec une diffusion extrêmement rapide. Pour donner suite à l’épidémie d’Ebola de 2014, Bill Gates alertait en 2015 sur notre état d’impréparation pour faire face à la suivante [5] …  Et qu’en est-il aujourd’hui ?

Gageons que nous saurons tirer les leçons de 2020 au-delà des mesures de prévention de la diffusion des épidémies avec une prise de conscience que certains écosystèmes tels que les forêts primaires dans les régions équatoriales et tropicales constituent un capital commun inestimable que nous devons à tout prix préserver ! L’homme étant arrivé en haut de l’échelle alimentaire par sa capacité à développer des fictions largement partagées plus que par ses aptitudes génétiques, ne peut-il donc pas bâtir une force collective extraordinaire pour renverser la tendance ? 

Comment faire évoluer la consommation de masse, là où le consommateur ne peut traiter toutes les informations disponibles en 1,8 seconde (temps de décision d’achat moyen d’un bien de consommation courant) et ainsi changer les modèles existants ?

Le choix d’une marque est dominant dans l’acte d’achat pour le consommateur en ce sens qu’une marque se construit par une association d’informations dans l’esprit des consommateurs. La communication d’une entreprise augmente le capital marque en fonction de différents facteurs : la sensibilité sociétale des consommateurs, la congruence de la marque avec la cause défendue et la crédibilité de l’information face au scepticisme du consommateur [6] .

A l’opposé, les effets négatifs d’une mauvaise performance sociétale sont indéniables, et peuvent parfois être amplifiés par une attitude défensive sur les réseaux sociaux, conduisant ainsi à une perte significative des intentions d’achats à plus ou moins long terme. La communication sociétale devient donc un enjeu de compétitivité économique.

Dans ce domaine, l’analyse de la construction du discours de la société BEL donnant un sens à sa raison d’être, présentant un plan d’amélioration continue, et favorisant la co-construction sous forme de divers partenariats, est riche d’enseignements [7].

 

De fait, l’interaction réciproque entre l’utilisateur et la marque peut créer un cercle vertueux incitant à un changement d’habitudes du consommateur et à un engagement croissant des entreprises dans la communication et l’exécution de leur stratégie en termes de responsabilité sociétale et environnementale (RSE).

Au-delà de la stratégie RSE de l’entreprise, comment agir et mettre en œuvre à l’échelle d’un site industriel, d’une unité ? Plusieurs approches et outils permettant de définir des indicateurs pertinents, tels que BioScope développé par la plateforme BBE (biodiversity, ecosystems and economics) ou le Product Biodiversity Footprint [10] , sont disponibles  [11] pour mesurer cet impact de l’activité industrielle sur la biodiversité.

Un autre levier pour inciter à un changement d’habitudes et de comportements est le prix.

A titre d’exemple, les résultats obtenus suite à la mise en place d’une taxe soda sont spectaculaires : les ventes de boissons sucrées à Philadelphie ont chuté de 38% depuis l’instauration de la taxe en Janvier 2017. Le coût immédiat, en l’occurrence le coût de l’obésité sur la santé publique, est intégré dans le prix du produit dans une certaine mesure. Malgré tout, l’acceptation sociale d’un « green deal » est loin d’être évidente si le coût n’est pas supporté équitablement [12] , avec une compensation pour les plus pauvres. Sans le facteur prix, il est peu probable qu’un changement d’habitude plus vertueux soit incité et finalement se produise.

 

En tant que citoyen (habitant de cette planète), nous sommes ainsi interpellés individuellement sur notre mode de vie mais aussi sur notre relation à la nature et à la vie sauvage. 

Ainsi par exemple, les dernières décennies ont vu l’explosion du tourisme de masse : il est vrai que voyager nous permet d’explorer notre planète et rencontrer d’autres cultures mais, il nous faudra probablement reconsidérer notre manière de voyager pour voir un jour la vie sauvage, essentielle à nos existences, préservée et offrir à nos petits-enfants un avenir privilégié en harmonie avec la nature.

 

Puissent-ils comme moi avoir la chance d’observer avec émerveillement les orang-outans, ces « hommes de la forêt », chez eux sur l’ile de Bornéo, espèce emblématique parmi tant d’autres d’espèces menacées, dans le respect de leur habitat naturel…

Pour l’heure, les débats autour de la sortie de crise prônant, soit une libération ou un allégement des contraintes règlementaires pour doper l’activité économique, soit un investissement massif pour réorienter vers une croissance durable, sont en train de se répandre dans plusieurs pays. Pourrons-nous réaliser un tel investissement dans une période d’austérité, probablement à venir dans quelques années, face aux montants colossaux des dettes publiques ? Pouvons-nous vraiment faire l’économie d’une transition plus vigoureuse vers la bio-économie considérant les coûts et les risques de nos activités et modes de vie ?

Etrange Printemps… n’est-ce pas le moment idéal pour une réflexion et un débat ?

Sources : 

1 Lancet 2018; 391: 462–512. Published Online October 19, 2017. http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(17)32345-0

2 Homo Deus, une brève histoire de l’avenir, Yuval Noah Harari, P.86, Ed. Albin Michel

3 Ghislain Vieilledent & Al (2018).Combining global tree cover loss data with historical national forest covermaps to look at six decades of deforestation and forest fragmentation in Madagascar. Biological Conservation Volume 222, June 2018, Pages 189-197. https://doi.org/10.1016/j.biocon.2018.04.008

4 Vourc’h, Gwenaël & Plantard, Olivier & Morand, Serge. (2012). How Does Biodiversity Influence the Ecology of Infectious Disease?. 10.1007/978-94-007-2114-2_13.

5 Ted Talks Bill Gates 3 Avril 2015 https://www.youtube.com/watch?v=6Af6b_wyiwI&t=8s

6 Béatrice Parguel, Florence Benoît-Moreau. Communication sociétale et capital-marque. Congrès International de l’AFM, 2007, Aix-les Bains, France. halshs-00145919

7 Duteil, Carine, et Christine Fèvre-Pernet. « La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : créativité stratégique et enjeu de compétition économique », Revue internationale d’intelligence économique, vol. vol. 11, no. 1, 2019, pp. 19-39.

8 Ted Talks Jason Clay 16 Août 2010 https://youtu.be/jcp5vvxtEaU

9 Site internet 20 Avril 2020 https://www.worldwildlife.org/initiatives/transforming-business

10 Site internet 20 Avril 2020 : http://www.productbiodiversityfootprint.com/

11 Di Fonzo, M. & Cranston, G., (2017), ‘Healthy Ecosystem metric framework: Biodiversity impact, University of Cambridge Institute for Sustainability Leadership (CISL), Working Paper 02/2017

12 Abhijit V. Banerjee, Esther Duglo « Economie utile pour des temps difficiles »Ed. Seuil, Mars 2020, p. 302-305

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